DESCRIPTION
La discipline architecturale fait aujourd’hui face à une crise importante. Partout dans le monde, les architectes sont, de fait, confronté·es à des enjeux majeurs : épuisement des ressources naturelles, pollutions et déchets générés par la construction bâtie, accroissement des inégalités économiques, tensions sociales qui en découlent, risques sanitaires et pandémiques… Ces événements nous conduisent à questionner fondamentalement le rôle des architectes dans nos sociétés contemporaines ; et aussi les potentielles alternatives que l’architecture peut élaborer.
Le Domaine d’Étude « Faire » (DE4) propose ainsi de se concentrer sur le caractère opératoire de la discipline architecturale. Si, pour reprendre la célèbre formule, il ne s’agit désormais plus d’interpréter le monde mais bien de le transformer, par quels moyens, selon quelles conditions et avec quelles conséquences peut-on « faire » acte architecture ? Comment faire, que faire, pourquoi faire ? Ces questions se posent avec la même intensité dans la pratique professionnelle et dans l’enseignement. Architectes, praticiens, enseignant·es et étudiant·es : à nous d’explorer ensemble les nouvelles conditions d’un monde durable et de les réaliser.
Cet enseignement de master soutient que l’architecte est avant tout quelqu’un qui fait parce qu’il pense, et qui pense parce qu’il fait. C’est un·e intellectuel·le qui s’implique dans l’analyse, la fabrication et la transformation du monde.
Plus précisément, la réflexion que nous tentons d’y mener est la suivante : comment faire avec ce qui est déjà là, comment faire autrement que ce qui est déjà fait ? Comment concevoir une architecture à partir des conditions de l’existant, en intégrant pleinement les enjeux économiques, sociaux, politiques, écologiques, numériques qui définissent notre société contemporaine ? Mais aussi, comment concevoir une architecture qui soit en capacité, non pas de reproduire ces mêmes conditions – et avec elles, les risques profonds qu’elles génèrent et que nous pouvons constater chaque jour –, mais bien de participer à leur évolution ? Quelles sont les figures du possible que l’architecture peut participer à édifier ?
APPLICATION
Comment, concrètement, engager une réflexion sur les rapports entre architecture et modes de production au sein des ENSA, et quoi cela peut-il constituer une pédagogie ?
Soulignons d’abord que l’architecture, comme l’ensemble des autres disciplines d’ailleurs, est nécessairement soumise aux conditions de production de son temps. On ne peut penser qu’à partir des structures intellectuelles propre à notre époque, et on ne peut construire qu’à partir des connaissances techniques et scientifiques de notre époque également. Cependant, et c’est là le point crucial, nous émettons l’hypothèse que l’architecture dispose de la capacité d’influer en retour sur ces mêmes structures et connaissances, c’est-à-dire sur l’appareil productif au sens large. À travers la puissance de sa matérialité, une architecture exprime autant une époque qu’elle construit les bases de l’époque suivante.
L’exemple le plus parlant de ce pouvoir transformateur, est sans doute la fameuse cuisine de Francfort, conçue en 1926 par Margarete Schütte-Lihotzky et Ernst May. Ce projet de standardisation du mobilier de cuisine, visait d’abord à en réduire le coût de fabrication et à améliorer l’efficacité des tâches ménagères. Nos cuisines contemporaines, à travers le monde, suivent désormais, dans leur immense majorité, les dimensions standards (60x60) définies par ce projet : clairement, l’ensemble de l’appareil de production industrielle de l’électroménager a été bouleversé et refaçonné durablement par un projet d’architecture.
Nous savons bien que le système productif contemporain soulève des enjeux urgents et majeurs : pour rappel, le secteur du bâtiment, en France, consomme 45% de l’énergie nationale, et est producteur de 25% des émissions de gaz à effet de serre. Au-delà de ce secteur, les effets de l’exploitation à outrance des ressources naturelles, du réchauffement climatique, des extinctions animales et végétales de masse, de l’explosion des inégalités économiques et sociales et désormais des risques pandémiques, pointent tous vers un même constat : notre système productif n’est pas viable, et il importe de le transformer. Pour quel nouveau système, c’est toute la question. Et c’est autour de cette question que notre pédagogie invite étudiantes et étudiants à réfléchir, à travailler et finalement à y apporter des éléments de réponse par le projet architectural.
De la même manière que des projets passés ont eu la capacité de transformer en profondeur le mode de production de leur époque, l’ambition de notre master est de construire sur le long terme, avec les étudiant·es, une collection de projets concrets et réalistes, s’ancrant dans les conditions actuelles, et dont la matérialisation disposerait potentiellement des mêmes capacités de remise en cause et de transformation du mode de production contemporain.